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couverture du livre île ou elle écrit par Clélie Berté

Clélie Berté île ou elle

470 pages
15.8 x 24 cm
Style litteraire : Roman
Numéro ISBN : 978-2-9546912-0-6

30.00 € TTC

Frais de port inclus France
Métropolitaine uniquement

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Présentation de île ou elle


… »Qu’allez-vous faire dans mon île ?

Elle dit « mon île » comme si l’île entière lui avait été donnée par quelque largesse divine. »…

 

L’auteur vous invite au voyage.  Vivez une histoire passionnée à travers les paysages sublimes de La Réunion avec une pointe d’épices, une note de sensualité, un brin d’humour.


Extrait du livre écrit par Clélie Berté


L’avion atterrit sur la piste de Gillot à douze heures trente-trois.

Ils sortirent sous le ciel brûlant de décembre. La chaleur les enroba d’un épais vêtement impalpable. Joël chargea les bagages, André se cala sur le siège avant, Samuelle et Martin s’installèrent. La jeune femme questionnait Joël.

Martin découvrait son nouvel univers, l’esprit libre de toute influence.

Les rares paroles de Samuelle avaient été teintées de mystère.

- Ne vous fiez pas à votre première impression, cette route est assez banale.

Non. Il regardait les maisons basses au toit plat, les lauriers roses qui auraient pu fleurir sur le bord d’une route méditerranéenne, les cocotiers et de l’autre côté, la mer après les galets.

André descendit devant le Méridien, à Saint-Denis. En front de mer, les canons du Barachois pointaient vers le large. Samuelle traversa la place ombragée sous les palmiers et les caoutchoucs géants. Elle acheta dans une baraque ambulante des samoussas et des bonbons piment.

- Goûtez, c’est épicé.

Martin rougit et avala.

- Nous déjeunerons à la maison. Vous pourrez vous rafraîchir et téléphoner à votre oncle.

Le Docteur Justin Olivier habitait l’Entre-Deux, désormais nouvelle adresse de Martin et depuis longtemps celle du grand-père de Samuelle.

- Je vous déposerai et j’irai voir Grand-père.
- Samuelle, n’êtes-vous pas fatiguée ?
- Non, pourquoi ?

Elle n’avait pas dormi depuis Paris.

La route en corniche déroulait son bitume de Saint-Denis à La Possession, à l’ombre de la haute montagne. Par une trouée, on apercevait des vieux rails, vestiges d’une lointaine aventure ferroviaire et des morceaux d’ancienne route. A droite, la mer tapait. Martin distingua Le Port à la pointe d’un ongle verni de rouge vif. Ils passèrent Saint-Paul, les cocotiers, les songes dans les ravines humides. Ecrasées de soleil, les rues étaient désertées. Les familles créoles se régalaient du repas de Noël. Les femmes, ce jour-là, agrémentaient l’ordinaire.

Martin vit défiler des maisons fleuries et quelques plages : Saint-Gilles, La Saline, Saint-Leu. L’Etang-Salé approchait.

La voiture s’engagea dans un chemin bordé de filaos, arbres aux longues aiguilles vert gris et aux petites boules brunes, répandus sur le littoral. Joël ralentit. Une ombre rougeoyante les effleura.

- Magnifique.
- Flamboyant, précisa la jeune femme.

Le jardin croulait sous les fleurs et les couleurs, somptueux et sauvage mais par endroits docilement dompté, peut-être par la main qui s’égarait sur le genou de Martin. Au détour d’exubérants bougainvilliers, une demeure blanche aux volets bleus paraissait sous le soleil. Une véranda l’entourait, des lianes curieuses enjambaient la balustrade. Martin entrait au cœur d’un luxuriant domaine où d’incroyables plantes avaient poussé.

Samuelle chuchota :

- C’est notre « maison bonheur ».

Elle fit arrêter la voiture. Elle se baissa pour caresser le sol, ferma les yeux, approcha une fleur de ses lèvres.

- Bonjour, mon île.

Une fille aux cheveux roux et un vieux chinois attendaient. La jeune femme courut vers eux.

- Claudia, ma Sœur.

L’homme s’était avancé et avait pris les mains de Samuelle. Il la détailla, émit quelques mots incompréhensibles et sourit.

- C’est du chinois, dit Claudia, rieuse.
- Lim, pilier de la maison Hartfield et… grand sage.
- Lim, je te présente le Docteur Olivier.
- Bienvenue Docteur… Il fait chaud, Samuelle, entrons.

Il vit tout de suite le piano de concert. Il s’approcha et caressa le bois noir.

- Vous n’avez plus soif, ni faim, ni chaud, Martin ?
- Je n’imaginais pas trouver un tel piano, ici.

Ils déjeunèrent à l’ombre protectrice de la véranda face à la piscine noyée de soleil.

Claudia releva ce repas du piment de sa personnalité. Martin la comparait à un écureuil espiègle et curieux. Elle avait demandé à
Samuelle, en anglais, peu discrètement : est-ce le dernier ? Il s’attendait à ce qu’elle saute prestement dans un arbre rouge pour rajouter du feu à sa chevelure.

- Téléphonez à votre oncle. Il vous croit à Paris, dans moins d’une heure, vous serez avec lui.

Accoudée à la balustrade, admirant son jardin, Samuelle prêtait une oreille distraite à la conversation. Le ton changea. Elle se retourna.

- Je suis son neveu. Pardon, pouvez-vous répéter, s’il vous plaît ? Samuelle prit l’appareil. Il suivit la conversation sans tout comprendre mais suffisamment pour saisir que son oncle était absent. La bonne avait pour consigne de laisser le numéro de l’associé.

- Appelez-le.

- Bonjour, je suis le Docteur Martin Olivier, pourrais-je parler au Docteur Berthier ?.. Depuis quand ?... Combien de temps ?... Non. Pas de message. Excusez-moi de vous avoir dérangé. Merci. Au revoir.

- Que se passe-t-il, Martin ?

- Mon oncle est parti hier pour les Seychelles. Trois semaines de vacances, comme moi. Quel idiot je fais ! Enfin, tant pis. Pourriez-vous me faire conduire à un hôtel ?
- J’ai une autre idée. Soyez mon hôte.
- Je vous remercie mais je ne peux vous imposer ma présence. J’ai déjà trop abusé.
- Aucun problème, croyez-moi. C’est vous qui subirez nos manies. André habite déjà ici. Nous sommes affreux à vivre tous les trois.
- Vous êtes merveilleuse, Samuelle Hartfield.
- Sûr ! Je vous fais visiter la maison. Choisissez votre chambre, Joël montera vos bagages. Marie-Rose est absente aujourd’hui mais Claudia et moi ferons de notre mieux pour vous installer. La maison était spacieuse. L’immense salon en L où régnait le piano et s’étonnait une cheminée occupait l’aile gauche. Il précédait un bureau, assez strict. Dans le hall descendait le grand escalier. La cuisine dépassait souvent ses fonctions, au gré des fantaisistes propriétaires. On y peignait, on y dansait, on y rassemblait des tas de choses d’ici ou ramenées d’ailleurs. Des paniers en vacoa ou en latanier étaient posés çà et là, débordant de fruits ou vides.
Une poupée en chiffons aplatie trônait sur une haute chaise en paille. Une enfilade de placards limitait la salle à manger et le salon d’hiver dans ce pays où il n’y en avait pas. Un couloir séparait l’ensemble d’une chambre, d’une salle de bains lumineuse et d’un coin d’humilité. Proche de l’entrée, un vestiaire occultait les toilettes. A l’étage, sur l’avant, Samuelle présenta deux chambres au confort cossu. Sur la gauche, une lingerie. Suivait un petit salon où l’on pouvait aussi dormir.

Côté piscine, les pièces se protégeaient à l’abri de jalousies. Elles ouvraient sur une terrasse que bonsaïs et orchidées avaient colonisée. Un escalier menait au jardin. Dans la chambre de Claudia, une collection de tortues se dissipait sur des étagères. La suivante était meublée façon coloniale. Restaient les deux dernières. Celle qui abritait les sommeils de Mademoiselle Hartfield surprit Martin. Blanche, sobre, un boutis jeté sur un matelas à même le sol, deux fauteuils, une table basse. Un miroir ancien et un tapis de soie semblaient la seule concession au luxe qui régnait ailleurs. Des cadres vides étaient accrochés au mur. Une pièce attenante alignait des rangements impeccables. Une salle de bains claire établissait le lien avec la dernière chambre que Martin choisit.

- C’était l’appartement de mes parents. Nous partagerons la salle de bains, si cela ne vous ennuie pas. Martin avait déjà envie de lui dire qu’il partagerait bien plus.

- Mes parents ont conçu cette maison pour que chacun se sente à l’aise. Avec cette quantité de pièces, personne ne se gêne, on peut s’isoler ou se rencontrer à souhait. Je vous montrerai plus tard les installations du jardin. Lim habite le bungalow.

Dans cette demeure qu’elle appelait sa « maison bonheur », Martin retrouvait partout l’élégance qui avait distingué Samuelle des autres, au premier regard.

Elle le laissa se reposer.

Quelques minutes plus tard, il l’aperçut en maillot de bain, plongeant dans l’eau calme de la piscine qu’elle réussit à troubler un instant.

On frappait à tout petits coups. Il voulait dormir encore. Le voyage l’avait épuisé. Les semaines précédentes avaient allié le travail à l’hôpital aux préparatifs de départ. Claudia entrouvrit la porte :

- J’entre, j’espère que vous êtes décent. Sans attendre sa réponse, elle était devant lui.

Il faisait sombre dehors.

- Vous avez dormi tout l’après-midi. Nous dînerons vers vingt heures. Vous avez vu, la nuit tombe vite. Sam dit que vous resterez quelque temps à la maison. Cool ! L’écureuil fila comme il était venu. Il rassembla ses esprits épars sur dix mille kilomètres.

Du grand salon parvenaient des rires et une musique tranquille.

Samuelle était allongée sur un canapé, la tête sur les genoux d’André.

Claudia était assise à leurs pieds. Samuelle lui proposa une coupe de champagne. Claudia bondit et la lui tendit.

- Alors, toubib, vous voilà des nôtres dans l’antre de ces affreuses.
- Vous semblez bien supporter le cauchemar, monsieur.
- Ah non ! Pas de monsieur. Pas de protocole ou je « crise ».
- Je me fâche, rectifia Samuelle. Je vous fournirai un glossaire pour le langage de Claudia. Martin regardait Samuelle. Elle lui souriait parfois. Elle parlait de Paris, d’un récent voyage en Italie, d’un frère appelé Sélim, de Joanna.
Il s’accrochait au moindre détail.

Lim avait fait griller du poisson agrémenté de gingembre et de combava, petit citron vert au goût surprenant. Un régal ! Il apportait le
dessert : un dôme de biscuit roulé sur une mousse de fruits de la passion.

- On dit souvent grenadines.

Une lumière brillait à l’extérieur du bungalow. Les lampadaires auréolaient les massifs proches et éclairaient la piscine. Après, l’obscurité enrobait tout.

Il faisait jour.

Dix heures. Martin aurait volontiers bénéficié d’une remontée à l’heure GMT.
Il s’excusa auprès de Samuelle. Elle le rassura.

- Ne vous pliez pas à mon rythme, j’ai besoin de peu de sommeil. André dormait encore. Claudia venait de partir à Saint-Denis en prévision de la fête du soir. Samuelle avait déjà téléphoné à son grand-père, classé certains papiers et commencé à élaborer le programme des jours suivants. Elle avait l’intention de faire découvrir son île à Martin. Samuelle présenta Marie-Rose.

- C’est la fée de cette maison. Elle sait tout faire. Sa cuisine est un irrésistible péché. Marie-Rose rosit et dit d’un ton un peu traînant :
- Madame i exagère. Mi fé du café pou monsieur ? Martin avait compris le fond mais restait surpris par la tournure.
-Vous vous habituerez au créole, ne vous inquiétez pas… Antoinette, la femme de ménage vient quatre matinées par semaine. Elle s’occupera de votre linge, laissez-le avec mes affaires dans la salle de bains. Elle ne parle pas mais elle entend, elle est très intuitive, nous communiquons par signes. Elle lui montra tous les coins de son jardin, les fleurs, les arbres. Dans une longue bâtisse jouxtant le bungalow, Samuelle avait installé une chambre noire, un atelier, une salle de gymnastique. Le reste faisait usage de garage, de resserre, d’abri pour tout, parfaitement ordonné.

- Avant que Papa n’achète cette propriété, il y avait un projet d’hôtel. Le tennis est sur le chemin qui mène à la plage. Il fit quelques pas dans le vaste enclos des tortues sous un imposant badamier. Une vingtaine de créatures étoilées goûtaient sans retenue aux raquettes épineuses des cactées, aux papayes bien mûres, aux goyaves. Elles avaient chaud, elles se mettaient à l’abri, elles voulaient le soleil, elles passaient la porte de leurs cabanes. L’espèce, en ces lieux, ne risquait nullement l’extinction.

- Ce sont des geochelone radiata. C’est l’affaire de Claudia, elle s’est proclamée maman des tortues. Dans un banian subsistaient une plateforme en bois de natte et une balançoire, souvenirs d’une fillette intrépide et d’une deuxième encore plus sauvage quelques années plus tard.

Martin était conscient de se trouver dans un endroit privilégié, protégé. Il dit à Samuelle qu’il lui était reconnaissant de l’avoir accueilli.

- Usez et abusez. N’ayez pas de scrupules, ouvrez les placards. Notre maison est sous le signe de l’amitié. Soyez heureux ! La Réunion est un endroit merveilleux. Elle a tous les visages, toutes les cultures, une âme profonde et envoûtante. Je vous la dévoilerai des Hauts jusqu’aux Bas, des sentiers reculés jusqu’à ses lumières. Vous marcherez, vous souffrirez pour découvrir ses secrets, vous vous enivrerez, vous vibrerez de plaisir devant elle et jamais vous ne l’oublierez. Martin avait rencontré le meilleur guide.