Claparede-Albernhe Brigitte Henri FRANCK : Une Biographie Intellectuelle
348 pages
A5 : 14.8 x 21 cm
sur papier 80 g offset
Style litteraire : Littéraire
Numéro ISBN : 978-2-9548419-5-3
25.69
€ TTC
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Présentation de Claparede-Albernhe Brigitte
éditeur de Henri FRANCK : Une Biographie Intellectuelle
Brigitte Claparède-Albernhe est docteur ès lettres et diplômée du Centre de recherche et d’Etudes Juives et Hébraïques de l’Université Paul-Valéry-Montpellier III.
Auteur du livre « Amos Oz, une écriture de paix », Paris, L’Harmattan, 2005, Préface de Carol Iancu, et d’articles sur Amos Oz et Henri Franck dans diverses revues.
Présentation de Henri FRANCK : Une Biographie Intellectuelle
La vie d’Henri Franck avec deux dates en point d'orgue 1888-1912
Extrait du livre écrit par Claparede-Albernhe Brigitte
1888-1912 - À cette époque, l’Europe maîtrise militairement et économiquement le reste du monde et croit voir triompher les Lumières. Mais il faut ajouter qu’au même moment, l’avant-garde de ses créateurs et de ses penseurs prépare la « modernité » . Par le foisonnement des idées qu’elle engendre, cette révolte idéologique s’accompagne chez les contemporains de la conscience d’une nouveauté bouleversante. Nous tâchons d’atteindre cette aventure culturelle grâce à l’itinéraire contrasté d’un jeune Juif français, Henri Franck. C’est de cette tension entre l’universalité ordonnée du XIXe siècle et une culture qui se veut hardiment moderne qu’il est partout question dans ses propos. Henri Franck est un jeune homme unique. Il est aussi un exemple qui facilite la compréhension d’une époque qui s’attache à malmener les structures des institutions politiques, des modes de vie et de pensée.
Cette étude, qui n’a pas pour objet de décrire une époque, la croise cependant continûment, car elle donne sa substance à la vie et à la pensée d’Henri Franck. Ses postures sont, bien entendu, tributaires de la situation des valeurs esthétiques, intellectuelles, idéologiques et politiques du temps. Mais il nous importe de montrer que sa judéité peut ne pas être indifférente pour observer la manière dont il s’approprie la problématique centrale de la pensée française : la tension entre l’intellectualisme et la vie pratique. Car Franck ne se soustrait pas à l’appétit d’action et de vie de sa génération. Cette question recouvre dans son œuvre une série de problèmes ayant trait à l’action et à la concrétisation même de la philosophie, par le rôle qu’il fait jouer à l’expérience poétique.
Les réalités contemporaines s’imposent dans les écrits d’Henri Franck. Rien n’est ignoré des tensions qui affectent le lien social de cette France des années 1905-1911 : la séparation des Églises et de l’État, les problèmes sociaux et militaires. Mais la vie parisienne le passionne aussi, l’opéra et le théâtre. Des figures célèbres du monde des Lettres et de la politique s’animent sous sa plume. Nous suivons un parcours qui s’est essentiellement déployé au sein du milieu universitaire. Henri Franck nous familiarise avec une génération étudiante, ses maîtres à penser et ses formes d’engagement. Dans ce tableau à recomposer, on s’efforce de ne pas perdre de vue les liens qui le rapprochent d’autres milieux étroitement unis à la société littéraire. Dans des lieux de sociabilité bien précis, son itinéraire mondain et intellectuel s’expose à des influences qui en définissent les ambitions et les limites : l’entourage de la comtesse de Noailles, le cercle d’amis qui gravitaient autour d’André Spire, les rédactions des revues La Phalange et, plus fondamentalement, de La Nouvelle Revue Française.
Sans doute Henri Franck apparaît comme un des premiers intellectuels au sens français, terme devenu commun dans la culture française au moment de l’affaire Dreyfus. L’Affaire a amorcé la dichotomie entre intellectuels de gauche et intellectuels de droite, répartis dans des réseaux distincts. Elle a aussi esquissé le complexe rapport entre avant-garde littéraire et politique, dans une société littéraire confrontée à la crise de la librairie et à la prolétarisation des écrivains. Nous verrons comment Henri Franck apparaît bien plus complexe, faute de toujours consentir à se laisser emmurer en un milieu (le monde de l’étude ou bien le groupe des hommes de lettres), en un lieu de sociabilité (la société de Madame de Noailles ou bien celle d’André Spire). Il préserve des espaces de liberté, en ces lieux de reconnaissance sociale, par rapport aux choix idéologiques qui relient chacun d’entre eux. Il oppose, en particulier, une certaine retenue aux libéralités de Madame de Noailles, dont la coloration politique des intimes est parfois bien bigarrée. En même temps, il oriente vers plus de complications le débat entre le grand mouvement de réaction antirationaliste et la philosophie de l’esprit qui se déploie au sein de l’université française. Son admiration pour Henri Bergson ou Maurice Barrès ne contrarie pas son soutien à la pédagogie nouvelle et aux méthodes de recherche de la Nouvelle Sorbonne. Celles-ci consistent à renouveler, au contact de la sociologie, l’histoire, la philosophie et la critique littéraire, en poursuivant l’impulsion théorique donnée à la philosophie française, sous le Second Empire, par la traduction de Kant. Ses contributions à La Nouvelle Revue Française viennent enfin démontrer un souci de ne pas minimiser la place de l’individu, le rôle de la sensibilité dans la création et dans la critique littéraire au seul profit de la recherche érudite et philologique. Elles plaident encore pour une esthétique exigeante qui ne veut pas réduire l’art à la vie.
Il se trouve qu’Henri Franck n’a pas fait l’objet d’importantes études. Mais la concision du dossier se révèle vite plus périlleuse qu’avantageuse. Peu de commentaires viennent éclairer, soutenir ou contredire, nos propres interprétations. Les précisions les plus importantes viennent de deux familiers, Madame de Noailles et André Spire. La pauvreté des lectures proposées par la suite, dont nous développerons l’histoire dans une dernière rubrique, constitue donc à la fois un danger et une chance. Un danger, nous l’avons dit. Une chance, car elle la justifie et, nous épargnant en partie la logique contraignante d’autres appropriations, nous facilite une certaine inventivité. Malgré ce peu de moyens critiques, nous avons quand même entrepris de cerner la pensée d’Henri Franck. Nous le faisons à travers deux compositions françaises, une correspondance, quelques articles publiés dans des revues, un essai ébauché et un très long poème. Est-ce une œuvre ? Oui, même mince. De là, l’attention mise à ne pas la réduire à un ensemble de textes dissemblables, mais de l’unifier à partir de ses valeurs-guides : l’amitié, le patriotisme, le plaisir de vivre que décuple la jouissance esthétique et l’intelligence. Enfin, nous l’éprouvons à chaque page, il existe un art d’écrire chez Franck, propre à faciliter les promenades dans ses textes. Nous reconnaissons un style, clair, direct, plus orné dans les descriptions de paysages.
S’il est vrai que la correspondance donne un relief singulier aux circonstances d’une vie, il nous semble que son intérêt réside essentiellement dans l’exploration de ses rapports avec les autres écrits. Tous, lettres comprises, sont des canevas au contact desquels se tisse le sens de la seule œuvre revendiquée comme telle, La Danse devant l’Arche. Si ce poème se suffit, atteint le point le plus élevé de la méditation, il ne manque pas de réfléchir les thèmes ailleurs abordés, les croisant et les recomposant. Une grande partie des lettres publiées dans l’édition de 1926, sous la direction d’André Spire, chez Bernard Grasset, ont d’abord été recueillies et classées, en 1920, sur la demande des parents d’Henri Franck par Jean Schlumberger, et publiées aux Éditions Galli-mard. S’y ajoutent les lettres retrouvées par Spire dans sa correspondance, celles qui lui ont été confiées par Madame De Noailles et Louis Fouassier, et un billet de Jacques Portail. Les lettres à André Gide et Maurice Barrès n’ont fait l’objet d’aucune édition. À bien y regarder, la correspondance, échelonnée de 1904 à 1911, est l’outil intellectuel qui structure notre démarche, en marque les lignes de force. Bien sûr, une distinction dans la correspondance tient au statut du destinataire : camarades de lycée ou de l’École normale, amis plus âgés ou femme adulée. D’entrée de jeu, nous avons écarté de trop amples développements sur ses attitudes vis-à-vis des différents correspondants. Leurs signalements biographiques, très inégaux en volume, ne nous ont retenus que dans les cas de Maurice Barrès, Anna de Noailles, André Spire ou Gabriel Marcel. Écrites sans arrière-pensée de publication, toutes les lettres ne sont pas d’un égal intérêt.
L’auteur des textes épistolaires n’y voyait pas récompensé son effort d’élever l’écriture jusqu’à l’œuvre. Il s’en explique, découvrant que la condition de l’écriture épistolaire réside dans le mouvement de l’action. Dans une de ses dernières lettres, écrite en septembre 1911, il dit à Julien Cain, bénéficiaire en 1926 d’un exemplaire dédicacé par André Spire des Lettres à quelques amis: « Pourquoi t’en voudrais-je de ne pas m’écrire ? Est-ce qu’on peut s’écrire ? Je ne le crois pas. Je sais bien : il y a la correspondance de Voltaire, et celle de Napoléon (celle de Napoléon, l’as-tu parcourue. Elle est très belle). Mais c’étaient des hommes d’action. Ils vivaient dans des siècles où l’on avait beaucoup à faire. Mais les universitaires, les agrégés, les Juifs, les philosophes, les musiciens, les malades n’ont pas de quoi s’écrire. Et il est à remarquer qu’au XVIIe siècle, les intellectuels et les artistes ne s’écrivaient pas beaucoup. On a la correspondance de Voltaire ; on n’a pas celle de Boileau, celle de Racine, celle de Cor-neille – ni non plus celle de Montaigne » . On peut s’interroger sur cette subordination de la lettre à l’action. L’écriture épistolaire, pour demeurer fixée à l’action, renoncerait à s’éclairer, à répéter le mouvement du vrai et du beau, jusqu’à vouloir ne pas penser.