Vous êtes ici : > > > les nouvelles de Mohand
couverture du livre les nouvelles de Mohand écrit par NAIT ABDELAZIZ Mohand

NAIT ABDELAZIZ Mohand les nouvelles de Mohand

94 pages
Poche : 11 x 18 cm
sur papier 80 g offset
Style litteraire : Littéraire
Numéro ISBN : 978-2-9558633-3-6

7.00 € TTC

Frais de port inclus France
Métropolitaine uniquement

Commander ce livre
maintenant

Présentation de NAIT ABDELAZIZ Mohand
éditeur de les nouvelles de Mohand


Je connaissais Mohand professeur d'anglais dans un lycée des Ardennes, romancier, avec son poignant roman autobiographique "HORIA", conteur, avec ses "7 short stories for children", et accessoirement chanteur.

Et voilà que je découvre Mohand dans un autre registre : la nouvelle.

Présentation de les nouvelles de Mohand


Douze nouvelles relativement courtes, toutes inspirées de faits réels, préfacées par Bubune, un poète ardennais.


Extrait du livre écrit par NAIT ABDELAZIZ Mohand


Sofines. Voici un prénom qui ne figure pas sur la liste officielle des prénoms acceptés par l’état civil algérien. N’y figurent pas non plus Massinissa, Koceila, Dihia, Gaia, Juba ou Jugurtha. Des prénoms de rois et de reines berbères qui ont gouverné le royaume de Numidie, l’actuel Maghreb, avant de passer sous les dominations extérieures (carthaginoise, romaine, vandale, arabe, ottomane et française).

Ces prénoms berbères ne sont pas acceptés parce qu’ils sont jugés subversifs. Ils dérangent. Un énorme caillou dans la chaussure du pouvoir qui peine à faire passer la pilule arabo-musulmane au sein des populations qui revendiquent avec fierté leur identité amazigh et leur descendance de héros et héroïnes antiques qui ont combattu le maître du monde de l’époque : Jules César. Dès lors ils passent outre la nomenclature des prénoms imposés par la loi de 1981. Aujourd’hui des Massi (diminutif de Massinissa), des Juba (prononcé yuva) et des Dihia courent les rues des villages de Kabylie avec l’indulgence de quelques maires qui ne veulent surtout pas s’attirer les foudres d’un peuple en colère à qui on a subtilisé son histoire.

C’est dans ce contexte improbable qu’un jeune couple nommé Ben Mohamed se présente dans les bureaux de la mairie de leur commune pour enregistrer la naissance de leur fille Sofines.

— C’est la première fois que j’entends ce prénom, observe l’agent qui reçoit le couple.

— C’est le prénom d’une reine berbère, rétorque le jeune époux avec une pointe d’appréhension. Elle s’appellera également Aïcha mais la priorité revient à Sofines.

— Je connais Kahina, Tinhinane, mais ce nom-là, jamais entendu.

— On la connaît moins bien chez nous qu’ailleurs. Corneille, un dramaturge français lui a consacré une pièce de théâtre intitulée Sophonisbe. C’est son nom romain. Massinissa, Syphax, vous connaissez quand même ? intervient l’épouse qui perçoit quelque réticence chez l’employé de bureau.
Comme tout le monde, répond ce dernier, le regard rivé sur l’écran de son ordinateur. De brûle-pourpoint, la jeune maman se lance dans une leçon d’histoire.
Sofines, fille d’Hastrubal un général carthaginois, était aimée de ces deux grands hommes. Le destin a décidé qu’elle choisisse Syphax parce que c’était un allié de Carthage, alors que Massinissa était un allié de Rome, le camp ennemi. Au terme de trois guerres Carthage est vaincu. Sofines devient alors l’esclave de César. Pour mettre un terme à cette humiliation, Massinissa, toujours épris de la reine déchue, lui envoie un poison qu’elle prend bien volontiers et met fin à sa vie.
C’est tragique mais c’est une belle histoire, apprécie le bureaucrate.
Il s’agit de notre histoire dont les pages sont sauvagement arrachées par les gens qui nous gouvernent, intervient le jeune époux.
Ecoutez, tranche l’agent, le nouveau maire est intransigeant là-dessus, vous ne devez pas l’ignorer, c’est un gars du système. Mais rien ne vous empêche de l’appeler Sofines, sauf que sur le registre elle sera inscrite sous un autre nom. Vous avez dit Aïcha, c’est original. Ça évoque l’esclave.

En effet, répond sèchement l’épouse, mais on aimerait voir le maire pour lui faire entendre raison.
Il n’est pas là aujourd’hui, ment l’agent de bureau.
Evidemment, s’indigne la jeune maman.

Ainsi Sofines grandit avec ce prénom qui la distingue par sa singularité. Quand on lui en pose des questions, la réponse est toute faite. Elle récite ce que lui a appris sa maman : « Sofines, fille d’Hastrubal, était une reine berbère, aimée de deux grands hommes, Massinissa et Syphax… ». La jeune fille se distingue aussi par sa beauté et son intelligence. Comme pour forcer le destin, ses parents, militants de toutes les causes perdues, la mêlent aux diverses manifestations auxquelles ils prennent part. Initiée au militantisme et au sens des responsabilités, elle est élue déléguée de classe dès la sixième. Elle n’a que onze ans. A vingt ans elle devient porte-parole des étudiants. A vingt-cinq, on lui confie la présidence du comité de son village. A trente elle entre au parlement comme députée. Célèbre pour son franc-parler, elle est souvent invitée à la radio et à la télévision. Les femmes dont elle défend farouchement les droits, la mettent sur un piédestal. Les hommes, eux, se bousculent pour l’épouser.

Mais du jour au lendemain toute sa notoriété s’écroule comme un château de cartes. Elle épouse le ministre de la Culture. Certes, un Kabyle, mais quelqu’un du système, un corrompu. Lâchée par les siens, elle sombre dans une profonde dépression. Elle divorce et quitte le pays. Elle s’envole pour la France où elle trouve une vieille connaissance qui la prend sous son aile. Elle l’épouse et retrouve une forme de sérénité mais pas pour longtemps puisque celui-ci la contraint à travailler. « Une paie ne suffit pas », lui dit-il. Ses diplômes algériens n’étant pas validés, elle est réduite à faire des ménages dans les hôtels et chez les particuliers. Ses employeurs ne l’appellent pas Sofines mais par le nom qu’ils trouvent sur ses papiers : Aicha Ben Mohamed. C’est en faisant le ménage, précisément en nettoyant une fenêtre au cinquième étage d’un immeuble, qu’un jour elle fait une chute qui lui a été fatale. La piste de l’accident est privilégiée mais plus d’un pense qu’il s’agit d’un geste délibéré pour mettre fin à l’humiliation et à la déconvenue.