Bouchaud Jean-Yves Le trésor des fils Perrin
476 pages
14 x 21 cm
sur papier 80 g bouffant ivoire
Style litteraire : Roman
Numéro ISBN : 978-2-9542721-4-6
16.00
€ TTC
Frais de port inclus France
Métropolitaine uniquement
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Présentation de Le trésor des fils Perrin
En l'an 1439, ce livre est le récit d’une quête. la quête d’un trésor dissimulé dans château de Maillefort, mais aussi quête d’identité, de vocation, de paix, de liberté, d’unité familiale.
Extrait du livre écrit par Bouchaud Jean-Yves
Mars réveillait enfin la terre. L’hiver, qui s’était attardé en froides giboulées, s’éloigna subitement pour laisser place à la douceur moite du printemps. Le domaine de Rouault frémissait sous les rayons du soleil blanc. La glèbe exhalait ses brouillards matinaux. Les orges, les avoines et les blés se risquaient à dresser leurs jeunes pousses assoupies par la froidure et les feuilles tendres émergeaient des vieux guérets que l’on avait enfin retournés à l’automne et qui reprenaient vie.
Il avait fallu débroussailler, abattre et dessoucher les arbres qui avaient envahi les bonnes terres du domaine tourangeau, rétablir et empierrer les chemins, redéfinir les parcelles, semer de fétuque et de luzerne les nouvelles prairies, quadriller les terrains à emblaver. Et, depuis la fin de l’été, le soc des charrues avait enfin foui la propriété délaissée pour l’ouvrir à la lumière après dix-huit années de friche. L’humus des terres arables avait la senteur des champignons. Les deux cavaliers s’arrêtèrent, fermant les yeux pour respirer les parfums terreux qui remontaient du sol, portés par les brumes. Ils les rouvrirent pour balayer du regard les parcelles quadrillées où s’éveillaient les bourgeons pleins de promesse. Ils poussèrent leurs chevaux jusqu’aux collines qui bordaient la rivière. Des plants de vignes s’y accrochaient. Ces vignes que l’on avait taillées et recépées courtement afin de leur redonner une nouvelle jeunesse. Les coteaux, sur tous leurs flancs, commençaient à se gorger du soleil de printemps, impatients de se réveiller après trop d’années de léthargie, fatigués de la pousse des sarments indéfinis de leurs vignes laissées à l’abandon. Cette fois-ci, la main des hommes avait redessiné la nature et on pouvait espérer : l’automne venu, le jus de raisin coulerait à flots sous le travail du pressoir.
Bertin Beaumont, le jeune comte de Rouault, arpentait donc ses terres, accompagné d’Enguerrand, heureux d’entrapercevoir déjà les fruits du gigantesque travail accompli depuis sept mois. Ils avaient embauché des vilains et les avaient installés dans les métairies abandonnées dont les logis délabrés par les vents d’ouest avaient enfin cessé de prendre l’eau. Réparés, rebouchés de torchis, blanchis à la chaux, les murs des chaumières avaient accueilli avec bonheur les nouvelles familles de vilains qui s’y étaient installées. Toutes les dépendances du château ainsi que les fermes de la propriété avaient été rénovées.
Encouragé, ou plutôt pressé par son père – sa voix autoritaire lui avait-elle vraiment donné le choix ? – Bertin s’était lancé corps et âme dans les travaux de réfection du domaine. Il n’avait pas regardé à la dépense, allant jusqu’à prévoir une vraie cheminée de pierre pour chaque chaumière, faisant revisiter la maçonnerie pour y faire percer une petite ouverture ajustée qui permettrait d’accueillir dans sa feuillure un carreau de verre : un luxe pour des manants ! Il n’avait pas été difficile de trouver les paysans qui allaient s’engager à faire prospérer les tenures du château ;
séduits par les avantages du logis et la promesse de charges allégées, les nouveaux arrivants savaient qu’en contrepartie il leur faudrait travailler dur pour rénover ce vieux domaine peuplé de fantômes, mais les embaucheurs inspiraient confiance. Ainsi, de bons laboureurs – libres vilains – avaient même délaissé leurs anciens seigneurs, déménageant pour servir le domaine de Rouault qui leur promettait beaucoup. Et, de la fin de l’été jusqu’à ce printemps, leurs faux et leurs socs avaient métamorphosé le lugubre terroir.
Des trois domaines possédés jadis par la lignée des Beaumont, il n’en restait plus qu’un seul : celui de Rouault. Bertin avait racheté quelques anciennes borderies qui longeaient la propriété pour l’étoffer ainsi de vingt acres supplémentaires – ce qui l’étendait à plus de cent acres. C’était là, sur ces parcelles, qu’il avait établi de pauvres serfs sans appartenance. Il les avait recueillis à l’entrée de l’hiver alors qu’ils se terraient dans les galeries de l’ancienne carrière, mourant de faim, eux et leurs familles. Le cœur de Bertin avait tressailli en regardant les femmes qui se traînaient jusqu’à la place du village le dimanche matin et se courbaient pour tendre la main à la sortie de la messe. C’étaient elles qui l’avaient conduit à s’aventurer dans les sombres renfoncements de la carrière. Il y avait découvert des hommes décharnés qui ne demandaient qu’à travailler pour offrir le pain quotidien que réclamaient leurs enfants. Alors, sans plus réfléchir, se disant que la Providence pourvoirait, il les avait tous embauchés. Son père lui en avait fait de vifs reproches : « Ils sont si maigres, qu’ils ne seront d’aucun profit pour le domaine ! » avait-il réagi, courroucé. Pour une fois, Bertin n’avait pas cédé : « Notre-Seigneur Jésus Christ nous a dit d’accueillir les pauvres en premier ! » avait-il osé répliquer, laissant son père sans voix devant cette résistance inhabituelle.
Les hautes tours du château surplombaient les champs. Leurs pierres de tuffeau gris, moussues de larges bandes verdâtres, reflétaient une lumière luisante et douceâtre.
As-tu remarqué, Bertin, que ta demeure ressemble à une émeraude que l’on aurait déposée sur la plus haute des collines dominant la rive du Cher ?
Quel talent de poète, Enguerrand ! Il ne te manque que le luth pour être transformé en parfait troubadour.
Ils tournèrent bride pour revenir sur leurs pas et remonter vers le châtelet. Serpentant sur les chemins qui contournaient les parcelles, les deux hommes passèrent devant la masure de l’une des familles de serfs nouvellement accueillie au domaine. Une femme, entendant le fer des montures cliqueter sur le pavé de sa petite cour, se précipita hors de la maison, cramponnant sur sa hanche le dernier rejeton qu’elle nourrissait. Elle s’approcha des cavaliers et, se penchant, pleine de reconnaissance, elle embrassa l’étrier de Bertin qui se dégagea doucement. Elle sortit alors de la grande poche de son tablier deux pommes qu’elle lui tendit et qu’il accepta. Bertin en lança une à Enguerrand, puis il descendit de cheval. De manière surprenante, il s’inclina devant la femme en lui disant :
Je vous remercie, madame.
Puis il se saisit de l’enfant qu’elle portait dans ses bras pour l’embrasser.
Quand il sera plus grand, il faudra l’amener au château afin qu’il reçoive une bonne éducation.